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dimanche, février 26, 2017

Affaire Bertrand Charest: un registre pour repérer les pommes pourries?

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Publié le 26 février 2017 à 08h40 | Mis à jour à 08h40
Les accusations d'agression sexuelle déposées en 2015 à l'endroit de Bertrand... (Photomontage LA PRESSE)
PHOTOMONTAGE LA PRESSE
KATIA GAGNON
La Presse
Les accusations d'agression sexuelle déposées en 2015 à l'endroit de Bertrand Charest ont été l'équivalent d'un «électrochoc» pour le petit monde du sport québécois. Et elles pourraient mener à la constitution d'un registre national qui permettrait - enfin - aux clubs sportifs de repérer les pommes pourries parmi les 60 000 entraîneurs à l'oeuvre au Québec.
Pour Alain Deschamps, directeur général de Sports-Québec, l'organisme qui chapeaute toutes les fédérations sportives au Québec, le dossier d'un entraîneur devrait être l'équivalent d'un permis de conduire. « Si tu commets des infractions, tu perds des points. Et peu importe le lieu où a été commise cette infraction, ces points perdus, ils sont visibles par tous. »
Ce dossier de l'entraîneur, il existe déjà depuis 2014. Dès qu'un entraîneur a suivi une formation du Programme national de certification des entraîneurs (PNCE), même une formation de base pour coacher une équipe de soccer, il obtient un numéro d'entraîneur. Ce registre, dans le milieu, on l'appelle « le casier ».
Sauf qu'à l'heure actuelle, on n'y retrouve aucune information sur le passé de l'entraîneur. « C'est une défaillance, estime M. Deschamps. C'est un trou. »
« L'enjeu, c'est qu'actuellement, on travaille en silo. Il faut qu'on se parle. Il faut regarder non seulement la formation du coach, mais aussi son passé. »
Pour M. Deschamps, tout devrait figurer dans le casier. Condamnations ou accusations de nature criminelle, évidemment, mais aussi suspensions pour mauvaises pratiques ou formation inadéquate. « Tout cela devrait être là. Ça fait partie du cheminement du coach. S'il a été suspendu et qu'il y a trois années qui manquent dans son dossier, il faut pouvoir lui demander : tu étais où, pendant ces trois ans ? »
Sports-Québec donne déjà l'exemple aux Jeux du Québec, que l'organisme est chargé de mettre en place. Tous les adultes en contact avec les enfants, qu'ils soient coachs, organisateurs ou bénévoles, doivent avoir fait l'objet d'une vérification de leurs antécédents criminels. C'est lourd et ça coûte des sous, dit M. Deschamps. « Mais on a le devoir de le faire », affirme-t-il.
La bonne nouvelle, c'est que cette vigilance pourrait bientôt aller bien au-delà des Jeux du Québec. L'Association canadienne des entraîneurs (ACE), qui gère le registre, est actuellement à l'oeuvre pour y inclure tout le passé judiciaire des entraîneurs.
L'ACE n'en fait pas mystère: le dossier Bertrand Charest a agi comme un déclencheur.
« Le cas Charest, c'était une image troublante qui illustrait que le sport avait un problème. C'était une publicité pour les agresseurs. Pour moi, cela constituait un risque », explique Lorraine Lafrenière, directrice de l'ACE.
Première étape, le casier judiciaire des entraîneurs ou les accusations dont ils ont fait l'objet seront bientôt visibles dans le registre. « On tente de faire en sorte que le casier devienne un outil de protection au service des différents sports. On n'a aucun système qui fait cela actuellement au Canada. Franchir cette étape, ce serait un grand succès, explique Mme Lafrenière. Ensuite, on pourra regarder les suspensions, les mauvais comportements, qui sont plus difficiles à définir ».
Les jeunes mal protégés?
À l'heure actuelle, ce sont les clubs sportifs qui sont responsables de s'assurer que les entraîneurs qu'ils emploient n'ont pas d'antécédents judiciaires. Or, les clubs sont souvent de petites organisations qui reposent sur le travail bénévole. « Rien n'oblige les clubs sportifs à vérifier les antécédents judiciaires des employés qui travaillent avec les jeunes », observe la chercheuse Sylvie Parent, du département d'éducation physique de l'Université Laval, dans une étude réalisée en 2010 avec sa collègue Guylaine Demers.
La vérification des antécédents judiciaires « n'est certainement pas appliquée partout, convient Marco Berthelot, de Sports-Québec. Pour les clubs, il y a des embûches : ce n'est pas gratuit, les délais sont parfois important. » Depuis deux ans, Sports-Québec a mis en place un outil qui facilite cette vérification.
Sylvie Parent et Guylaine Demers ont passé plusieurs organisations sportives au crible. La majorité d'entre elles ne procédaient donc à aucune vérification des antécédents criminels des entraîneurs avant leur embauche. Les clubs ou les fédérations n'avaient souvent pas de politique sur le harcèlement ou les agressions sexuelles. Pis encore, ils était souvent réticents à faire de la prévention « par crainte de soulever de fausses allégations. » Les deux chercheuses en concluaient que les jeunes sportifs sont mal protégés au Québec.
Pour Lorraine Lafrenière, la réalité est différente d'un club à l'autre. Les sports où l'on entraîne de jeunes enfants, comme la gymnastique, le patinage artistique ou le plongeon, sont très vigilants. « La réalité d'un club de gymnastique est très différente de celle d'un club de bobsleigh », estime-t-elle.
Prendre le taureau par les cornes
Mais une réalité freine l'implantation de ce filet de sécurité. « Il faut être prudent, parce que des accusations de ce genre, si elles ne reposent pas sur des faits établis, peuvent coller à la peau d'entraîneurs pendant toute une vie », ajoute Réjean Lévesque, directeur des communications à la Fédération de tennis du Québec.
Pourtant, un sport est déjà allé de l'avant avec un tel registre. Au hockey, dès qu'un entraîneur fait l'objet d'une condamnation, d'accusations ou même d'allégations qui auraient trait à des agressions sexuelles, il est identifié dans le fichier des entraîneurs et devient repérable à l'échelle du Canada.
« Aussitôt qu'il y a des accusations, on le signale. Même s'il n'y a pas d'accusations formelles, parfois, on peut l'indiquer parce que les conséquences sont très grandes si la personne est en contact avec des jeunes, explique Yvan Dallaire, directeur de la régie à Hockey Québec. Oui, le risque, c'est que certaines personnes nous poursuivent. Mais on aime mieux se faire poursuivre par eux que de se faire poursuivre par un parent dont l'enfant aurait été agressé par un entraîneur et que nous, on n'aurait rien fait. On prend le taureau par les cornes. »

L'ampleur du problème

8,8 % des jeunes sportifs de 14 à 17 ans ont subi des agressions sexuelles dans un contexte sportif, selon une étude de 2016 de l'Université Laval.
De toutes les agressions sexuelles subies par des jeunes de cet âge, 5 % sont le fait d'un entraîneur.
1,6 % des jeunes athlètes ont eu des relations sexuelles qu'ils qualifiaient de consentantes avec leur entraîneur.
« Les relations sexuelles entre un entraîneur et son athlète sont parfois perçues comme consensuelles par les jeunes. Il y a une normalisation de cette relation, qui est vue comme justifiable. Or, il y a une personne mineure et une personne en état d'autorité. C'est un abus de pouvoir. Il y a beaucoup d'éducation à faire. », explique Sylvie Parent, du département d'éducation physique de l'Université Laval.

Les jeunes et le sport au Québec

  • 500 000 jeunes sportifs (tous âges)
  • 63 fédérations sportives
  • 60 000 entraîneurs certifiés
  • 600 000 bénévoles oeuvrent dans le sport au Québec, au quotidien et lors de grands événements.

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