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mardi, juillet 12, 2016

Julie Snyder demande une injonction pour savoir qui la fait suivre

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Publié le 12 juillet 2016 à 05h00 | Mis à jour à 07h39
Julie Snyder et ses avocats ont déposé une... (PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE)
PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE
Julie Snyder et ses avocats ont déposé une demande d'injonction visant à forcer les enquêteurs privés qui l'ont prise en filature le 26 juin dernier.

Julie Snyder dit avoir réussi à faire identifier «l'homme à la casquette noire» qui l'a prise en filature à l'aéroport de Québec, il y a deux semaines. Mais qui est la personne qui lui a octroyé un tel mandat de surveillance? C'est le mystère que tentent de percer Mme Snyder et ses avocats dans une demande d'injonction déposée hier en Cour supérieure du Québec.
La requête, déposée en fin de journée, vise à forcer les enquêteurs privés qui l'ont prise en filature le 26 juin dernier à lui livrer dans les 48 heures «copies de toutes correspondances, fax, factures, courriels ou contrat [...] décrivant le mandat de surveillance» qui leur a été octroyé. Mme Snyder demande également à la cour de faire «cesser immédiatement toute filature ou autre type de surveillance» à son encontre et d'obliger les enquêteurs qui l'ont suivie à lui remettre toute photo ou vidéo qui aurait été prise d'elle lors de cette filature.
Qui est «John Doe»?
La demande d'injonction cible spécifiquement l'enquêteur privé Claude Viens et Groupe Sécurité Garda, qui l'aurait mandaté pour filer l'animatrice, toujours selon la requête. Celle-ci vise également un certain «John Doe», un nom générique donné par les policiers aux personnes non identifiées faisant l'objet d'une enquête. Ce «John Doe» y est décrit comme «toute personne physique ou morale ayant octroyé aux défendeurs Claude Viens [et] Groupe Sécurité Garda le mandat de surveillance à l'encontre de la demanderesse Julie Snyder».
La Presse a révélé, la semaine dernière, que Mme Snyder a porté plainte à la police de Québec le 27 juin, estimant avoir été prise en filature à l'aéroport de Québec alors qu'elle se rendait à sa résidence des Îles-de-la-Madeleine. C'est une employée de la compagnie aérienne Pascan qui l'a informée qu'un homme portant un chandail et une casquette noirs, se décrivant comme un «détective», l'avait abordée pour lui demander le numéro de vol et l'heure d'arrivée de Mme Snyder à sa destination. Jugeant la demande de l'homme louche, l'employée a alerté son superviseur, qui a alors informé Mme Snyder de l'incident.
L'employée a «transmis par courriel les photos prises de l'homme à la casquette noire» à Mme Snyder, qui les a ensuite remises à la police lorsqu'elle a porté plainte.
L'homme à la casquette noire identifié par des pairs
Julie Snyder a par la suite contacté Claude Sarrazin, propriétaire de la firme d'enquête Sirco et président de l'Association professionnelle des enquêteurs privés du Québec (APEPQ) pour qu'il «fasse identifier l'homme à la casquette noire».  
«Deux sources confidentielles, ne désirant pas être identifiées [...] ont confirmé à [la direction de Sirco] que l'homme à la casquette noire est Claude Viens, enquêteur privé et employé de Garda», indique la requête en injonction. Un troisième enquêteur privé a également confirmé son identité, dans une déclaration sous serment déposée avec la requête.
La photo montre l'agent de filature près d'une voiture qui appartiendrait à MJL Investigation, une agence spécialisée dans la filature dont le propriétaire est Michel Lebreton. Questionné parLa Presse la semaine dernière, M. Lebreton a reconnu qu'il était à l'aéroport de Québec lorsque Mme Snyder s'y trouvait, mais a formellement démenti qu'il la suivait dans le cadre d'un contrat.
Claude Viens, un enquêteur dûment inscrit comme «agent d'investigation» au Registre du Bureau de la sécurité privée, n'a pu être joint hier.
Garda n'a, quant à elle, pas accepté de répondre à nos questions. «GardaWorld a une politique stricte relativement au maintien de la confidentialité des dossiers de ses clients et ne dévoile jamais les noms ou la nature des services qui pourraient avoir été retenus par ceux-ci», a déclaré l'entreprise par courriel.
Dans une déclaration sur Facebook la semaine dernière, Julie Snyder a qualifié cette prise en filature d'expérience «d'une violence psychologique inouïe».
«Cet incident a bouleversé la demanderesse qui fut troublée tout au long de son vol de Québec vers les Îles-de-la-Madeleine et a notamment souffert d'insomnie dans les jours qui ont suivi et encore à ce jour», peut-on lire dans la requête de Julie Snyder.
Mme Snyder plaide que cette surveillance est une atteinte à sa vie privée et constitue pour elle «une crainte perpétuelle pour sa sécurité et celle de ses jeunes enfants».
La requête ajoute que la surveillance «n'a aucunement été conduite par des moyens raisonnables », que Claude Viens a «volontairement laissé croire à l'employée de Pascan qu'il était un policier afin de lui soutirer l'information» au moyen de «subterfuges» et qu'il a «omis de s'identifier» lorsque questionné par Mme Snyder.
Un as de la filature
Deux enquêteurs privés contactés par La Presse ont affirmé que Claude Viens et Michel Lebreton jouissent d'une excellente réputation dans le milieu de la filature. «Claude Viens est un as. Je suis surpris qu'il se soit fait attraper, mais ça fait partie des risques du métier. Ça arrive de 1% à 2% du temps », a confié un enquêteur qui compte une trentaine d'années d'expérience.
Les enquêteurs privés travaillent presque toujours en duo et exigent de 1500 $ à 3000 $ par jour, indiquent nos sources. Leur travail est balisé par la Loi sur la sécurité privée, qui stipule entre autres que les titulaires doivent présenter leur permis « lorsqu'une personne [leur] demande de s'identifier » et qu'il leur interdit de « se présenter comme ayant l'autorité, le statut ou les pouvoirs d'un agent de la paix ».
Le code d'éthique de l'APEPQ précise par ailleurs que ses membres peuvent uniquement recueillir des renseignements sur une personne «s'ils ont des motifs valables de croire que les renseignements se rattachent à des comportements malhonnêtes, à des violations d'accords ou à des infractions aux lois du Canada, d'une province ou d'une compétence étrangère.»
Une autre source, qui a requis l'anonymat, affirme que la plupart des clients passent généralement par un cabinet d'avocats pour mandater un enquêteur privé. «En se plaçant derrière leur firme d'avocats, ils sont protégés par le secret professionnel», résume cet enquêteur d'expérience.
«La limite que ne doit pas franchir un enquêteur privé, c'est celle du droit à la vie privée. Tout ce qu'on filme doit être vu de la rue», ajoute Michel Corneau, propriétaire d'une firme de filature et d'enquête de la région de Québec.
La requête en injonction déposée par Mme Snyder, dite de «type Norwich», est considérée comme un recours exceptionnel. Elle est généralement utilisée pour contrer des cas allégués de fraude qui nécessitent la protection de renseignements cruciaux pour la suite d'un recours. La demande devrait normalement être entendue au cours des prochains jours.