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samedi, novembre 05, 2016

Toutes les Amériques de Richard Séguin

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PUBLIÉ AUJOURD'HUI À 2 H 47
Richard Séguin
PHOTO : COURTOISIE COUP DE COEUR FRANCOPHONE / JEAN-FRANÇOIS LEBLANC

« Quand tu joues de l'harmonica en fa, dès les premières notes, tu vois tout de suite la route », a dit Richard Séguin vendredi soir à L'Astral, avant d'interpréter « Roadie », une nouvelle chanson de son plus récent disque Les horizons nouveaux.
Philippe Rezzonico

Un texte de Philippe Rezzonico
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Joignant le geste à la parole, Séguin a soufflé quelques mesures dans le petit instrument et il a lancé à la foule : « Vous voyez? » Et comment! Le bout de la route à perte de vue... Les paysages sans fin... Les étoiles qui éclairent le ciel... L'Amérique, en définitive. Celle que Séguin chante depuis trois bonnes décennies.
Mais, au fait, quelle est la définition de l'Amérique pour Séguin?
« Ma langue est d'Amérique. Je suis né de ce paysage », répond-il au bout du fil, tout en citant le poète québécois Gatien Lapointe, jeudi, lorsque joint à la veille de sa rentrée montréalaise lors du Coup de cœur francophone.
« Cette américanité, ça a commencé avec la chanson « L'ange vagabond », inspirée de [Jack] Kerouac pour un symposium, avant même le disque Journée d'Amérique (1988). Dans les années 1980, on se définissait encore par rapport à la France. »
« L'ange vagabond » prenait ses racines aux États-Unis, mais Journée d'Amérique était complètement ancrée dans un milieu québécois, particulièrement sur le clip de la chanson, tourné dans le quartier de Saint-Henri. Comme quoi l'Amérique pouvait être celle d'ici et d'ailleurs.
« Mon grand-père est né au Wisconsin. Il est revenu au pays avec le drapeau américain et des chansons de là-bas. Je réside à 20 kilomètres des États-Unis. On va y déjeuner souvent. C'est proche de ma réalité. J'habite les Appalaches, qui sont un territoire partagé entre nos deux pays. »
Les diverses facettes de l'Amérique
Cette Amérique a été présentée de diverses façons par l'auteur-compositeur et interprète au cours des ans, tant sur disque que sur scène. Dans le temps, des formations bâties sur le modèle de celles des groupes de rock n' roll ont fait résonner les mots et les mélodies du jeune Séguin. De nos jours, les configurations de ses spectacles sont similaires à celles de ses récents albums plus épurés.
À l'extrême droite de Séguin (à gauche, pour le spectateur), Hugo Perreault (guitares, mandoline, dobro), à ses côtés depuis près de 20 ans. À l'extrême gauche, Simon Godin (guitares, dobro, basse), présent depuis une dizaine d'années. Tout près de lui, Myëlle (violoncelle, claviers, percussions), la petite nouvelle.
Pas de batterie sur les planches pour marteler le tout. Une Amérique sans violence, finalement. Une Amérique célébrée en finesse et en sensibilité, avec un Séguin toujours droit comme un chêne, vêtu de sa veste et de son jean, un peu comme il s'est présenté au Gala de l'ADISQ dimanche dernier : fidèle à son image. Fin du volet vestimentaire.
Mais une Amérique où l'espoir, le passé, l'amour, la désillusion et le présent s'entremêlent. De nos jours, l'espoir est plus rare. Donc acte et ouverture avec la nouvelle Les vents contraires (« Que viennent les vents contraires/qui ramènent l'espérance »), aussitôt suivie de L'envie d'y croire, dédiée « à tous les rêveurs et les utopistes, ceux qui ne font mal à personne ». Chanson, fait rare, que Séguin a interprété au banjo. Mais l'Amérique ne serait pas l'Amérique sans toutes les interrogations soulevées dans Qu'est-ce qu'on leur laisse.
L'Amérique de Séguin est aussi celle de la compassion. Les bouts de papiers, inspirée par un de ses oncles qui ne savait ni lire ni écrire, a été interprétée au « je » et non pas à la troisième personne, comme elle a été composée.
« Quand on chante à la première personne, on se rapproche d'un personnage », a expliqué le chanteur. Et parfois, l'Amérique est triste et elle se résume à un seul individu en crise, comme l'individu dans Pleure à ma place.
Médiocratie affirmée
Richard Séguin
PHOTO : COURTOISIE COUP DE COEUR FRANCOPHONE / JEAN-FRANÇOIS LEBLANC
Étonnamment, dans le contexte de la présidentielle américaine, Séguin a écarté Protest Song. Ma foi, le « welcome yankee » de la chanson aurait pu être remplacé par un « go home yankee » tant l'élection chez nos voisins du sud est surréaliste. Mais ça ne l'empêche pas d'être très préoccupé par ce qui s'y passe.
« C'est incroyable comment les deux candidats sont si impopulaires. Les républicains récoltent ce qu'ils ont semé. Ils avouent ouvertement êtres racistes, homophobes, anti-avortement et pro-individualité. C'est la médiocratie affirmée. C'est comme si l'Amérique ne supportait plus son propre poids. »
Séguin avait quand même un brûlot politique à saveur locale dans son spectacle, la récente Tant qu'en y a, où l'avarice et la courte vue de certains politiciens est soulignée à gros traits : « Tant qu'y en a/on va tout prendre/ta petite patrie/même ton bonheur de vivre ici. »
Mais Séguin est encore plus fort quand il touche droit au cœur avec la nouvelle P'tit frère, interprétée en mode guitare-voix, au rappel. Également avec Au bord du temps, une chanson portant sur les migrants inspirée par une question de sa petite-fille de dix ans. À faire écouter à tout le peuple québécois, celle-là. Et il peut aussi nous surprendre, quand il reprend Belle Ancolie en duo avec Myëlle, qui a une voix formidable.
Parlant de relecture, celles de L'Ange Vagabond et de Rester debout auront été parmi les plus réussies. Amorcées tout en douceur et en nuances stylistiques, les deux chansons se sont transformées en cavalcades épiques en fin de parcours, bénéficiant des voix des quatre instrumentistes : une explosion de cordes et de voix, comme si l'Amérique, fougueuse cette fois, pouvait vibrer joyeusement de toutes parts.
Et, il faut le noter, le peuple d'Amérique peut aussi avoir une classe et un respect exemplaire. Séguin a eu raison de remercier la salle bondée de L'Astral pour sa qualité d'écoute. Écoute religieuse afin d'apprécier toute la lutherie des instrumentistes et la puissance évocatrice des mots.
Après plus de deux heures d'une prestation riche en textures, mélodique à souhait et parsemée de textes forts et poétiques (notamment Dans le désir du monde, de Pierre Morency), il était normal que Journée d'Amérique boucle la boucle. Car, l'Amérique, en définitive, peut surtout être rassembleuse.
Richard Séguin est de retour à L'Astral samedi soir lors du Coup de cœur francophone.

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