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lundi, mai 16, 2016

Comment peut-on être fédéraliste au Québec?

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14 mai 2016 |Louis Cornellier
Comment peut-on continuer à adhérer au projet fédéral canadien après le rapatriement de la Constitution de 1981-1982 sans la signature du Québec, interroge Louis Cornellier.
Photo: Ron Poling La Presse canadienne
Comment peut-on continuer à adhérer au projet fédéral canadien après le rapatriement de la Constitution de 1981-1982 sans la signature du Québec, interroge Louis Cornellier.
Essai
Être fédéraliste au Québec. Comprendre les raisons de l’attachement des Québécois au Canada
Jean-François Caron
Presses de l’Université Laval
Québec, 2016, 100 pages
En tant que souverainiste, j’ai peine à comprendre les motivations de mes compatriotes fédéralistes. Comment, en effet, peut-on continuer à adhérer au projet fédéral canadien après le rapatriement de la Constitution de 1981-1982 sans la signature du Québec, les atteintes à la Charte de la langue française imposées par des décisions de la Cour suprême, les échecs des accords du lac Meech et de Charlottetown, le plan B de Jean Chrétien, le scandale des commandites et les manoeuvres référendaires fédérales de 1995 ? Je dois malgré tout constater, comme le note le politologue Jean-François Caron, « qu’une majorité de Québécois ont encore aujourd’hui un sentiment d’appartenance envers la société politique canadienne ». Ils doivent bien avoir leurs raisons.
 
Dans Être fédéraliste au Québec, Caron, qui enseigne maintenant au Kazakhstan, essaie justement de les expliquer. Bien que je ne partage pas ses conclusions, je dois préciser que je considère ce politologue fédéraliste comme un essayiste modèle. Soucieux de clarté argumentative et stylistique, Caron cultive la limpidité, va à l’essentiel et fait de fréquents rappels de sa thèse principale dans le but d’unifier son propos. Le lire est une expérience intellectuelle enrichissante, que l’on soit ou non d’accord avec lui.
 
Dualisme identitaire
 
D’entrée de jeu, le politologue reconnaît qu’« il y a un certain malaise à se dire fédéraliste au Québec » parce que « cette option politique s’est souvent révélée décevante pour le Québec ». Il marque, de plus, son désaccord avec plusieurs des arguments avancés par les partisans de cette option. On ne devrait pas être fédéraliste, écrit-il, pour garder les Rocheuses ou par crainte de l’avenir économique du Québec. Pourquoi, alors, tant de Québécois le sont-ils ? Serait-ce, comme le soutient une thèse souverainiste, parce qu’ils sont pusillanimes et colonisés ?
 
Caron rejette cette lecture de la situation et propose plutôt la thèse suivante : si les Québécois demeurent attachés au Canada, c’est « parce que la société politique canadienne leur permet de s’autodéterminer librement, mais aussi parce qu’elle est également en mesure de s’adapter et de répondre de manière satisfaisante à leurs revendications politiques ». Il parle d’un « sentiment d’appartenance à une association politique libre », qu’on retrouve aussi en Suisse, en Belgique et en Espagne.
 
Dans les pays multinationaux, explique-t-il, le dualisme identitaire est la norme. Les minorités nationales (québécoise, flamande, catalane) y cultivent un patriotisme nationaliste, fondé sur des références historiques et culturelles partagées, et un patriotisme républicain, que Caron définit comme « un amour rationnel des lois d’une association politique ».
 
Ce second patriotisme a surtout une valeur instrumentale et ne peut entraîner l’adhésion qu’aux deux conditions déjà mentionnées : il doit permettre « l’autonomie communautaire »des groupes nationaux et permettre à ces groupes d’influer sur les normes fédérales. Si ces conditions ne sont pas remplies, la tendance sécessionniste des minorités nationales devient dominante et légitime.
 
En Suisse, montre Caron, ce sain fédéralisme est respecté, d’où l’absence de mouvements sécessionnistes d’envergure. En Belgique et en Espagne, ce n’est pas le cas, ce qui explique le grandissant désir d’indépendance de la Flandre et de la Catalogne.
 
Le Québec est-il libre ?
 
Qu’en est-il du Québec, selon cet intéressant cadre théorique ? Peut-on affirmer, comme le fait Caron, que « les deux conditions essentielles au développement d’un sentiment d’appartenance à une association politique libre sont réunies dans le cas canadien » ?
 
Pour toutes les raisons énumérées en ouverture de cette chronique, les souverainistes répondront un non retentissant. Comment Caron peut-il donc soutenir que « le fédéralisme canadien a su se montrer accommodant dans l’élaboration du projet de construction nationale du peuple québécois » ?
 
Quand le Québec a entrepris de se moderniser, au moment de la Révolution tranquille, en se dotant « d’institutions propres à son affirmation nationale », le gouvernement fédéral, note Caron, ne lui a pas fait obstacle. Certaines décisions de la Cour suprême ont invalidé des dispositions de la Charte de la langue française, mais cela, selon le politologue qui tourne ici les coins ronds, n’a pas empêché la francisation du Québec et des immigrants. Le Québec, ajoute-t-il à raison, aurait d’ailleurs pu faire plus souvent appel à la disposition de dérogation pour préserver son autonomie, comme la Constitution le lui permet.
 
Pour le reste, plusieurs ententes administratives (sur l’immigration, notamment) ont répondu aux demandes québécoises. Le Canada, bref, n’est pas le goulag et, même si « l’ordre politique canadien pose problème sur le plan symbolique » par son refus de constitutionnaliser l’existence de la nation québécoise, il offre au Québec « une autonomie politique réelle », raison pour laquelle bien des Québécois lui demeurent attachés.
 
La thèse de Caron est éclairante, mais tendancieuse. Comme l’histoire et l’actualité en témoignent, l’autonomie du Québec est fragile et toujours à défendre. Elle ne relève pas de la normalité, mais du combat. En s’opposant à la pleine reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise, le Canada manifeste sa volonté de la tenir en laisse et son droit de donner et de reprendre à sa guise. Ne pas vivre dans un goulag n’est pas l’équivalent d’être libre. Le Québec mérite mieux qu’une liberté conditionnelle.

« Je chercherai à montrer que, malgré ses défauts, le fédéralisme canadien a su se montrer accommodant dans l’élaboration du projet de construction nationale du peuple québécois. Cette analyse fera en sorte de mieux comprendre les raisons profondes qui expliquent – au grand dam de nombreux souverainistes — pourquoi tant de Québécois manifestent un attachement envers le reste du pays. »
Extrait d’«Être fédéraliste au Québec»

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