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vendredi, février 26, 2016

CORRUPTION Un chantier difficile

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25 février 2016 |Brian Myles | Québec
Le rapport final de la commission Charbonneau fêtera bientôt ses 100 jours dans l’indifférence. L’une des pires craintes des commissaires Renaud Lachance et France Charbonneau est en voie de se réaliser. Le Québec baisse la garde.

Depuis le dépôt du rapport, le 24 novembre dernier, le gouvernement Couillard a eu tout le temps nécessaire pour faire l’examen des 60 recommandations. Le Devoir ne sent pas vraiment d’empressement, à Québec, pour y donner suite. Jusqu’à présent, les libéraux ont présenté un seul projet de loi, incomplet, pour protéger les lanceurs d’alerte. Et le reste ? Rien.
 
Après tous les efforts et les fonds publics engloutis dans la commission d’enquête, qui a coûté près de 45 millions de dollars, les Québécois sont en droit de s’attendre à ce que les élus provinciaux prennent au sérieux l’appel au changement de culture lancé par la juge France Charbonneau, dans ses remarques finales. Tous doivent prêter main-forte.
 
« Il faut saisir l’occasion qui nous est donnée de changer les choses au plus grand bénéfice de tous. Ce n’est que collectivement, en agissant de façon responsable, qu’ensemble nous réussirons à faire du Québec une société où l’éthique est aux premières loges et où la collusion et la corruption n’ont plus leur place », disait-elle.
 
Sur le plan de la lutte contre la corruption et la collusion, tout n’est pas noir. De grandes firmes de génie-conseil ont dépoussiéré leurs codes d’éthique et elles les appliquent dorénavant. Les « Monsieur 3 % » et « Monsieur Trottoir » qui faisaient partie du folklore municipal à Montréal sont soit en attente de subir un procès, soit à la retraite. L’Unité permanente anticorruption (UPAC) a connu des succès pour détrôner des roitelets de la politique et de la construction, notamment à Boisbriand, à Mascouche et à Laval.
 
Il y a bien un changement de culture, mais ses assises sont encore fragiles.
 
À titre d’exemple, il y a encore des maires et conseillers d’arrondissement, à Montréal, qui trouvaient normal de solliciter des promoteurs immobiliers pour des dons politiques, alors que leurs projets étaient étudiés par les élus municipaux. Il s’agit de gestes maladroits mais légaux, a déclaré le maire Denis Coderre.
 
Nous sommes loin du banditisme de grand chemin observé à la commission Charbonneau, mais ce genre de comportement, de la part des élus municipaux, démontre que les vieux réflexes d’associer la politique au développement des affaires restent vivants.
 
Il faudra un leadership fort, venant des plus hautes autorités gouvernementales, pour asseoir ce changement de culture. Ce n’est pas en ramenant au Conseil des ministres des députées comme Julie Boulet, qui a bien mal paru lors des audiences publiques (même si elle n’a reçu aucun blâme), que le premier ministre nous convaincra de son désir de poursuivre le travail amorcé par la commission Charbonneau. Il ne suffit pas de s’en laver les mains et de se déresponsabiliser simplement parce que le commissaire Lachance a exprimé une opinion divergente, dans laquelle il concluait à l’absence de lien de causalité entre le financement des partis provinciaux et l’octroi des contrats du ministère des Transports.
 
Le silence assourdissant du gouvernement Couillard sur les enjeux éthiques dans l’octroi des contrats publics envoie un bien mauvais message. Le monde politique n’est pas si différent en 2016 de ce qu’il était en 2009, alors que les journalistes d’enquête ont déterré les premiers scandales de corruption et de collusion dans l’industrie de la construction. La politique est un métier qui s’exerce dans une grande proximité avec les milieux d’affaires. Le réseautage redeviendra vite du copinage si le gouvernement n’a d’autre réponse que le « tablettage » au rapport de la commission.
 
Il n’est pourtant pas si difficile de créer un comité de suivi, interministériel, afin de s’assurer que les 60 recommandations soient étudiées sérieusement et qu’elles ne tombent pas en dessous de la pile des priorités des titulaires de charges publiques.
 
Le gouvernement n’est pas seul à porter le fardeau. Mardi, à l’Assemblée nationale, les députés péquistes Bernard Drainville et Pascal Bérubé ont rappelé que deux institutions devront rendre des comptes un de ces jours : l’UPAC et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Deux enquêtes majeures sur le financement illégal du PLQ, les projets « Joug » et « Lierre », n’ont généré aucun résultat. Les dossiers dorment sur le bureau du DPCP depuis plus d’un an. « On n’a pas d’accusations, on n’a pas d’explications. Pourquoi c’est plus difficile quand c’est le Parti libéral du Québec ? » a demandé M. Bérubé.
 
Pour respecter l’indépendance du DPCP et le principe de la séparation des pouvoirs politique et politique, il faut aborder la question avec la plus grande prudence. Mais elle mérite certainement d’être posée.

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