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mercredi, décembre 16, 2015

PREMIÈRES NATIONS Promesse d’une ère nouvelle

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Justin Trudeau dit oui aux 94 recommandations de la Commission de vérité et réconciliation


16 décembre 2015 | Marco Fortier - Avec Robert Dutrisac | Canada
Le président de la Commission, le juge Murray Sinclair (au centre), ainsi que les commissaires Wilton Littlechild et Marie Wilson ont dévoilé mardi, à Ottawa, leur volumineux rapport.
Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne

Le président de la Commission, le juge Murray Sinclair (au centre), ainsi que les commissaires Wilton Littlechild et Marie Wilson ont dévoilé mardi, à Ottawa, leur volumineux rapport.
Ils ont souffert en silence et sont morts dans l’anonymat. Des décennies plus tard, un« renouveau total » s’impose pour tourner la page sur l’assimilation forcée de 150 000 autochtones dans des pensionnats religieux, qui représente un des épisodes les plus sombres de l’histoire canadienne.
 
Dans son rapport final rendu public mardi — qui tient dans six volumes de plusieurs kilos chacun —, la Commission de vérité et réconciliation du Canada recommande de revoir de fond en comble les relations entre le Canada et les nations autochtones.
 
Le premier ministre Justin Trudeau s’est engagé sur un ton solennel à mettre en application les 94 recommandations de la Commission, et même à aller plus loin. « Nous n’avons besoin de rien de moins qu’un renouveau total de la relation entre le Canada et les peuples autochtones. Aucune relation n’est plus importante pour moi que celle-là. Je vous donne ma parole que nous allons renouveler et respecter cette relation », a lancé Justin Trudeau devant des centaines de personnes venues assister à la conclusion de six années de travaux de la Commission de vérité et réconciliation, à Ottawa.
 
Il a offert ses excuses aux victimes autochtones. Son prédécesseur, Stephen Harper, s’était déjà excusé au nom du gouvernement canadien, en 2008.
 
Il y avait de l’émotion dans l’air, durant cette cérémonie de plus de deux heures et demie. Les larmes ont coulé à l’évocation du « génocide culturel » qui a dévasté durant un siècle les autochtones du Canada, y compris au Québec. Le système raciste « d’oppression coloniale »mis en place dès le début de la Confédération, en 1867, perdure à ce jour, affirme la Commission.
 
Identifier les morts
 
Plus de 3200 enfants sont morts dans ce qui était une tentative de « civiliser » ceux qu’on décrivait alors comme des « sauvages ». Les enfants de toutes les communautés autochtones étaient arrachés de force à leurs familles pour être envoyés dans des pensionnats où les religieux avaient pour mission d’en faire de bons chrétiens.
 
Les enfants étaient souvent maltraités, battus, agressés, considérés comme des numéros. Ils mouraient de la tuberculose ou d’autres maladies infectieuses qui se répandaient comme une traînée de poudre dans les dortoirs des pensionnats. Les autochtones devaient renoncer à parler leur langue. Des dizaines d’enfants sont morts, de froid, perdus ou noyés, en fuyant l’enfer où on les enfermait. Ceux qui ont survécu en sont sortis traumatisés.
 
Les larmes aux yeux, des survivants des pensionnats ont raconté que la publication du rapport final de la Commission représente pour eux une forme de renaissance. « C’est un grand jour pour nous, les survivants, a dit Madeleine Basile, une Atikamekw de Wemotaci, en Mauricie. Comme un phare, la Commission de vérité et réconciliation nous a apporté la lumière. »
 
Elle a passé 10 ans dans un pensionnat à Pointe-Bleue. Sa soeur Jacqueline a péri à l’âge de 9 ans sous les soins des religieuses. La Commission est pour Madeleine Basile l’étape ultime de la guérison. « J’ai appris à dire “ je t’aime  », a-t-elle raconté mardi.
 
Il est temps d’honorer les 3201 victimes, dont le tiers ont été enterrés dans des endroits inconnus sans même avoir été identifiés, estime la Commission. La cause du décès de la moitié des enfants n’a même pas été déterminée. Impossible, pour les proches des victimes, de faire un deuil dans ces circonstances.
 
Le président de la Commission, le juge Murray Sinclair, a appelé à une vaste mobilisation pour retrouver l’endroit où ont été enterrées toutes les victimes. Quand ils mouraient, les pensionnaires étaient souvent enterrés sur n’importe quelle parcelle de terrain, sans que leurs tombes soient identifiées. Le juge Sinclair invite les provinces à ouvrir leurs registres des décès du siècle dernier pour aider à localiser les enfants morts dans l’anonymat — en consultant aussi les listes d’inscription des 139 anciens pensionnats, dont le dernier a fermé ses portes en 1996.
 
« Je peux affirmer avec confiance qu’on se trouve au début d’une nouvelle ère qui produira des changements importants dans l’histoire canadienne. Cela prendra du temps, peut-être des générations », a insisté Murray Sinclair.
 
Excuses papales attendues
 
Il a appelé le pape François à faire un « geste de réconciliation » envers les autochtones du Canada, après avoir reconnu les péchés de l’Église catholique en Amérique latine.
 
Les conditions sont bel et bien réunies pour une redéfinition « historique » des relations entre les peuples autochtones et le Canada, estime Carole Lévesque, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique. « L’attitude du gouvernement Trudeau est tellement différente de celle du gouvernement précédent. Je pense que tout le monde est prêt pour que de vrais changements surviennent », a-t-elle réagi.
 
Justin Trudeau a réitéré ses engagements électoraux de faire des investissements considérables dans l’éducation des autochtones et d’éliminer le plafonnement à 2 % de l’augmentation du financement des programmes des Premières Nations. Le premier ministre a aussi rappelé qu’Ottawa s’apprête à mettre en branle une commission d’enquête sur le sort des femmes autochtones, comme il s’était engagé à le faire en campagne électorale.
 
Le chef du gouvernement libéral s’est engagé à donner suite à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le Parti conservateur a critiqué cet empressement des libéraux à entériner un texte des Nations unies qui constituerait une forme de « veto » sur les lois canadiennes.
 
« Nous craignons également que des lois existantes puissent être supplantées par l’acceptation automatique de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones,a indiqué le député Todd Doherty. Bien que les tribunaux aient clairement statué que les Premières Nations sont en droit d’être consultées sur les importants projets de développement, il est important que le gouvernement fédéral ait le pouvoir final de décision sur les projets qui sont dans le meilleur intérêt du Canada. »
 
De leur côté, le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois ont demandé au gouvernement Trudeau de passer de la parole aux actes en donnant suite aux 94 recommandations.
 
À Québec, le ministre des Affaires autochtones, Geoffrey Kelley, a aussi souligné sa détermination à agir, notamment après le rapport du groupe Femmes autochtones du Québec, qui critique sévèrement la Direction de la protection de la jeunesse. Les femmes des Premières Nations hésitent à porter plainte pour violence par crainte de se faire enlever leurs enfants par la DPJ.