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jeudi, décembre 10, 2015

Le Mexique rongé par la torture

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Publié le 10 décembre 2015 à 10h02 | Mis à jour à 10h19
Viol, asphyxie et pendaison par les pieds, la... (PHOTO FOURNIE PAR EMMANUELLE STEELS)
PHOTO FOURNIE PAR EMMANUELLE STEELS
Viol, asphyxie et pendaison par les pieds, la police a tout fait pour obtenir ses aveux, accuse Yecenia Armenta.

EMMANUELLE STEELS
collaboration spéciale
La Presse
Décharges électriques, asphyxie, viols: ces méthodes sont couramment employées par la police et l'armée mexicaines dans ce qu'on appelle leur «guerre contre le crime». À l'occasion de la Journée internationale des droits de l'homme, les organisations civiles s'alarment des dimensions catastrophiques que prend le fléau de la torture au Mexique.
En 10 ans, les plaintes pour torture au Mexique ont augmenté de 600%. L'ONU a reconnu en 2014 qu'il s'agissait d'une pratique «généralisée» au Mexique. Les organisations civiles mexicaines préfèrent la qualifier de «systématique», jugeant que les institutions elles-mêmes l'encouragent en accordant l'impunité. Au cours des 20 dernières années, seuls sept agents de l'État ont été condamnés pour des faits de torture. Voici trois cas illustrant cette calamité mexicaine.
Une confession forcée
Violée, asphyxiée et pendue par les pieds: les sévices subis par Yecenia Armenta montrent la violence inouïe déployée par la police pour soutirer des aveux. Arrêtée en 2012 après la mort de son mari à Culiacán (nord du Mexique), la jeune femme a dû avouer l'avoir assassiné. «Ils m'ont bandé les yeux, m'ont parlé d'un homme qui aimait couper des doigts et des oreilles et m'ont fait croire qu'il était en train d'aiguiser son couteau», rapporte Yecenia dans un témoignage recueilli par Amnistie internationale, qui mène une campagne internationale pour sa libération. «Puis ils m'ont dit qu'ils allaient amener mes enfants, qu'ils allaient les violer et les dépecer.» En trois ans d'emprisonnement, tous les experts qui se sont penchés sur son cas ont repéré les séquelles de torture. Cependant, les charges pèsent toujours. «Au Mexique, le processus pénal se poursuit, même lorsque la torture est avérée», explique Madeleine Penman, du bureau mexicain d'Amnistie internationale. C'est seulement en 2015 que les autorités ont accepté d'ouvrir une enquête officielle sur la torture infligée à Armenta.
Torturés pour témoigner
Juan Carlos et Alandro Cortés, deux frères trentenaires, ont été arrêtés en 2009. Les examens médicaux et psychologiques ordonnés par le Parquet fédéral confirment leurs dires: ils ont été torturés par la police fédérale, qui les poussait à accuser leur oncle d'être le chef d'une bande de kidnappeurs. Alejandro livre son témoignage par lettre: «Ils m'ont obligé à me dénuder et m'ont versé de l'eau glacée sur tout le corps, puis sur un tissu couvrant mon visage, me coupant la respiration. Ensuite, ils ont sauté sur moi. Ils cesseraient de m'asphyxier uniquement si j'acceptais d'accuser mon oncle. J'ai perdu la notion du temps.» À son frère Juan Carlos, les policiers ont aussi infligé des brûlures aux jambes. Adrián Ramírez, président de la Ligue mexicaine de défense des droits de l'homme et médecin spécialisé dans les cas de torture, a étudié leur cas: «Comme eux, la plupart des cas auxquels je fais face concernent des personnes innocentes. Les autorités cherchent des personnes qui pourraient endosser certains crimes, pour donner l'image d'une efficacité des forces de sécurité. Refusant de coopérer, les frères Cortés, l'un avocat et l'autre employé par un parti politique, ont été accusés de complicité avec leur oncle, malgré les preuves démontrant la torture.»
Libérés après avoir été torturés
Le 3 décembre, en moins de 24 heures, deux décisions inédites ont été adoptées par des juges mexicains: deux victimes de torture accusées à tort, Adrián Vázquez, un chauffeur de bus de Tijuana, et Crisel Peña, une femme de Ciudad Juárez, ont été libérées. Lors de son procès, la jeune femme de 25 ans est parvenue à affronter les deux policiers qui l'avaient torturée sexuellement. «Ces cas montrent que la stratégie du gouvernement contre le crime organisé a échoué et que les conditions ont été créées pour torturer les personnes détenues et les impliquer dans des crimes qu'elles n'ont pas commis», estime Madeleine Penman, d'Amnistie internationale.