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mercredi, octobre 28, 2015

Douloureux souvenirs réveillés pour trois Innues

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EXCLUSIF
Publié le 28 octobre 2015 à 05h00 | Mis à jour à 07h34
Avant de retourner dans leur dur passé, les... (Collaboration spéciale, Fanny Lévesque)
COLLABORATION SPÉCIALE, FANNY LÉVESQUE

Avant de retourner dans leur dur passé, les trois femmes innues ont effectué un rituel autochtone au cours duquel elles ont fait brûler de la sauge, puis disperser la fumée autour d'elles.

<p>Fanny Lévesque</p>
FANNY LÉVESQUE
Collaboration spéciale
Le Soleil
(Sept-Îles) Les révélations troublantes des femmes autochtones de Val-d'Or ont réveillé le monstre qui sommeillait au plus profond de certaines Innues de la Côte-Nord. Trois d'entre elles ont souhaité raconter leur histoire au Soleilet ainsi faire parler leur mémoire, silencieuse depuis trop longtemps.
Réunies dans un salon de la communauté d'Uashat, elles allument de la sauge qu'elles font brûler un peu avant de disperser la fumée autour d'elles, un rituel autochtone qu'elles ont tenu à réaliser avant de retourner dans leur dur passé. Elles ont choisi de préserver leur anonymat.
Mme Jourdain* est la première à prendre la parole. «J'avais le goût de vomir, le coeur me levait.» Le reportage d'Enquête a remué en elle un souvenir vieux d'il y a 30 ans. Elle allègue que sa soeur et elle ont été abusées par un policier à Schefferville, à la sortie d'un bar. «On avait bu, il nous a amenées au poste.»
«J'étais dans une cellule et ma soeur dans l'autre, il était avec elle. Elle criait, pleurait [...] J'avais vécu des abus dans ma jeunesse et je savais ce que ma soeur était en train de vivre, je ne voulais pas ça.» Après un long silence, elle reprend. «Un moment donné, il est venu m'ouvrir la porte, il m'a taponné les seins, j'étais comme figée.»
«J'ai eu très peur, confie-t-elle, des sanglots dans la voix. Il m'a dit : "Tu sors". Il a fait la même chose avec ma soeur, même la sortie c'était très humiliant, je ne pense pas qu'on a touché à terre.» Peu de temps après, Mme Jourdain quitte Schefferville, laissant derrière elle son passé. «C'est la première fois que j'en parle aujourd'hui.»
«Ma vie a été un enfer après. Je consommais, je consommais [...] J'ai fait une tentative de suicide, j'ai été dans le coma pendant trois jours. En me réveillant, j'ai entendu ma fille me dire qu'elle avait besoin de moi. C'était la première fois que je sentais que j'étais d'une certaine façon importante pour quelqu'un.»
C'est à ce moment que Mme Jourdain a traversé la tempête qui l'habitait. «J'ai travaillé sur moi pour être capable de vivre et pas juste survivre.» Elle parle maintenant pour sa petite-fille. «Je peux pas croire que j'entends des histoires comme ça, en 2015.»
Toujours la peur 
Depuis la diffusion de l'émission Enquête, Geneviève* a été replongée dans un profond questionnement. Dans son cas, les autorités attendent son feu vert pour entamer des procédures contre son présumé agresseur, son professeur de l'époque.
«Toutes les démarches sont faites, la plainte est déposée, la police m'a rappelée et ça fait trois mois que je ne suis pas capable de prendre une décision, lance-t-elle. J'ai peur qu'on me reconnaisse, qu'on me dise que je n'ai pas assez d'éléments, j'ai peur de perdre, c'est tout ça mon inquiétude.»
Il y a une vingtaine d'années, son enseignant, un autochtone, l'aurait amenée dans le bois pour lui demander «de faire quelque chose». Encore aujourd'hui, elle peine à mettre des mots sur l'abus dont elle aurait été victime. «Quand je me parle, je me dis : j'avais 15 ans, il n'avait pas le droit, il était en position d'autorité.»
«[Les abus] c'est tellement banalisé qu'on se banalise en tant que personne, on va vivre avec ça, en niant [...] C'est de la honte qu'on vit», poursuit-elle.
Lien de confiance brisé 
Shayanna* salue pour sa part le courage des femmes de Val-d'Or qui ont pris la parole en public. «Ça prenait ça pour avoir une sorte de libération», assure-t-elle. L'Innue dit avoir été confrontée à un très jeune âge à des actes de racisme dans les bars, il y a plusieurs années. Une grande colère a grandi en elle, à l'époque.
Selon elle, les autorités ne mettent pas les autochtones sur le même pied d'égalité. Elle raconte un épisode où elle aurait été victime de viol par un homme de la communauté. «Le médecin m'a incitée à porter plainte.» Ce qu'elle a fait, mais après quelques mois, elle aurait été incitée à abandonner ses démarches par manque de preuve, ce qu'elle attribue au fait qu'elle soit autochtone. 
«Il faut qu'on se lève, il faut que ça s'arrête. Mon souhait, c'est qu'on soit bien dans notre peau», assure celle qui affirme avoir pris sa vie en main, il y a huit ans.
*Noms fictifs

Comment aider les victimes?

«Je peux dire que ç'a brassé beaucoup de choses», soulève la coordonnatrice du centre Tipinuaikan de Uashat mak Mani-Utenam, qui accueille des femmes autochtones victimes de violence conjugale et familiale.
«Maintenant, qu'est-ce qu'on va faire pour aider toutes ces personnes-là?» interroge Marie-Claude Riverin. «Je vous dirais que 80 % des femmes que j'ai côtoyées depuis la diffusion de l'émission ont vécu une sorte d'abus, de violence. Mais la peur est tellement ancrée qu'elles ne veulent pas dénoncer», assure-t-elle.
Selon elle, les gouvernements devront réagir rapidement aux allégations faites par les autochtones de Val-d'Or. «Il va falloir se munir d'un plan stratégique pour offrir de l'aide, surtout en milieux isolés. Il faut développer des services à l'image des autochtones, être à leur écoute.»
Le centre Tipinuaikan dessert des femmes issues des huit communautés de la Côte-Nord, d'aussi loin de Pakua Shipu, à 500 kilomètres à l'est de Sept-Îles. «C'est le moment de dénoncer et utiliser les femmes de Val-d'Or, cet élément déclencheur doit servir.»