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jeudi, septembre 10, 2015

La voie catalane

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Militant indépendantiste

Publication: Mis à jour: 

«Si nous ne faisons pas de référendum, il faudra bien s'y résigner [à la voie électorale]» - Pierre Bourgault, Maintenant ou jamais.
Il existe des rendez-vous avec l'Histoire qui font et défont les peuples, ces moments forts qui changent le cours du temps. Les Catalans s'apprêtent enfin à vivre le leur. Ils feront face à leur destin le 27 septembre prochain dans le cadre d'une élection sur l'indépendance.
Il faut noter qu'aucun référendum n'est prévu, du moins avant l'indépendance elle-même. Leur président sortant, Artur Mas, a été sans équivoque ces derniers jours sur ce point: seuls les votes des députés seront déterminants. Peu importe le suffrage global obtenu.
Cette curieuse affirmation détonne dans tout ce à quoi nous ont habitué les stratèges péquistes en matière de méthodes d'accession à l'indépendance, et ce, depuis presque toujours.
C'est pourtant le mandat sollicité par la coalition de partis politiques indépendantistes nommée Junts pel Sí («Ensemble pour le Oui») dirigée par l'actuel président de lageneralitat (gouvernement catalan). Cette coalition mène dans les sondages, lesquels anticipent non seulement une victoire indépendantiste, mais une majorité au parlement. À seulement trois semaines de l'élection du 27 septembre, la coalition vient enfin de dévoiler ce qu'elle compte faire dès le lendemain, le 28 septembre, si elle est élue.
Les trois documents publiés montrent le sérieux du processus proposé à la population. Le premier document concerne une «feuille de route» décrivant les grandes lignes du processus à suivre et l'échéancier, d'un minimum de 18 mois.
Le deuxième document décrit les structures étatiques transitoires, c'est-à-dire ce par quoi le gouvernement catalan remplacera les autorités espagnoles, depuis l'élection jusqu'à la ratification d'une constitution permanente.
Finalement, le troisième document concerne le programme politique de la coalition.
De ces trois documents, la feuille de route attire particulièrement l'attention, car elle résume la chronologie des événements à venir en cas de victoire.
Ce que les indépendantistes comptent faire
Dès le départ, les indépendantistes déclareront solennellement «le début du processus d'indépendance» et mettront en place «les structures de l'État catalan», propres à un État indépendant, décrites dans le deuxième document. En parallèle à cette construction effective de l'État, le parlement entamera un «débat citoyen» sur divers sujets, notamment sur un «processus constituant» concernant les institutions catalanes et la future constitution.
C'est au terme de la création de ces structures étatiques provisoires que la coalition Junts pel Sí convoquera le parlement catalan afin de déclarer l'indépendance.
En ce sens, la coalition souhaite la déclarer avec l'accord préalablement négocié du gouvernement espagnol, et elle fera part de ce souhait elle-même directement aux chancelleries européennes dans le cadre d'un processus diplomatique prévoyant l'envoi de plénipotentiaires dans les différentes capitales. Cette effervescence diplomatique servira, naturellement, à jeter les bases d'un futur réseau d'ambassades qui sera fort utile lorsque les «tiers États» seront appelés à reconnaître la Catalogne.
Par contre, si l'Espagne refuse toute négociation, elle légitimera une déclaration unilatérale d'indépendance, prévient Artur Mas, et les structures étatiques catalanes s'imposeront là où elles n'auront pas pu le faire avant la déclaration.
Dans les deux cas de figure, soit la déclaration d'indépendance négociée ou l'unilatérale, l'on remarque la préoccupation constante de ce gouvernement de transition à rechercher l'effectivité du nouvel État, c'est-à-dire l'indépendance de fait.
Cette effectivité est fondamentale, car le droit international précise que, si la reconnaissance internationale est généralement indifférente à la façon dont un État devient indépendant, le critère de l'effectivité, lui, est obligatoire. À titre d'exemple, l'ancien président français François Mitterrand a déjà expliqué au journal Le Mondele 27 novembre 1988 la politique séculaire de la France à cet égard: «Notre pays s'est toujours fondé, dans ses décisions de reconnaissance d'un État, sur le principe de l'effectivité, qui implique l'existence d'un pouvoir responsable et indépendant s'exerçant sur un territoire et une population». Cette politique de reconnaissance est similaire partout en Europe. L'on comprend mieux, à la lumière de ces faits, la stratégie catalane.
Finalement, une fois que la déclaration d'indépendance aura été prononcée, s'ouvrira le processus constituant afin d'en terminer avec la transition. Pour ce faire, la coalition Junts pel Sí propose l'élection d'une constituante qui sera chargée d'écrire la constitution permanente, laquelle sera ensuite entérinée par un référendum de ratification dans un délai imprécisé. Ainsi, la ratification de cette constitution terminera le processus de transition entamé dès l'élection, passant d'une Catalogne espagnole vers un État indépendant.
De la Catalogne au Québec
Il y a beaucoup de dogmes québécois démystifiés par les indépendantistes catalans dans ce processus afin de «réussir» leur pays, paraphrasant ainsi un certain slogan électoral québécois. Nous n'en soulignerons que deux, qu'il n'est pas prématuré d'évoquer à trois semaines du vote.
Le premier concerne le dogme voulant qu'une élection sur la question nationale ferait fuir l'électorat, comme le professent les stratèges péquistes depuis 1973. À cet effet, le doute n'est plus possible. Même si elle devait perdre les élections le 27 septembre prochain, Junts pel Sí a prouvé qu'une élection sur ce sujet est parfaitement jouable d'un point de vue strictement électoraliste.
Non seulement la partie est jouable, faut-il ajouter, mais la voie électorale lui a permis de consolider le vote indépendantiste autour de l'enjeu du pays catalan, ce que les péquistes n'ont plus été en capacité de «réussir» depuis l'élection de Lucien Bouchard en 1998. Peut-être que les stratèges péquistes, présentement en mode panique voyant que des indépendantistes ne votent plus nécessairement pour des partis indépendantistes (c'est le principal constat de l'actuelle campagne électorale fédérale), auront l'humilité de revoir leur stratégie à la lumière de cette nouvelle donnée.
Le second dogme largement propagé est à l'effet qu'il n'existe que le référendum initiateur comme méthode «civilisée» d'accession à l'indépendance. S'il est vrai que les Catalans ont d'abord tenté d'en organiser un, il est intéressant d'observer que, dans leur contexte politique propre évidemment, ils ont été dans l'impossibilité de l'organiser puisqu'ils ont été bloqués par le veto légal de Madrid.
C'est pour se sortir de ce cul-de-sac référendiste que la voie électorale a été choisie, leur permettant tout à la fois de rester dans le jeu politique et de pouvoir maintenir un momentum sur l'indépendance qui, pour nous au Québec, n'appartient plus qu'au domaine du rêve.
Quant au PQ, le référendum initiateur y a une place sacralisée et le remettre en question signifie rien de moins qu'une excommunication politique.
En revanche, il est intéressant de se remémorer que deux célèbres congrès de ce parti, celui de 1981 ayant débouché sur le «renérendum», et celui de 2005 s'étant soldé par la démission de l'ex-premier ministre Bernard Landry, ont fait l'objet de résolutions ressemblant sur l'essentiel à s'y méprendre à ce que propose Artur Mas et sa coalition. L'élection initiant le processus d'indépendance, la construction de l'État entre l'élection et la déclaration d'indépendance, et le référendum qui, lui, portera sur une constitution permanente à la toute fin, terminant le processus, sont trois points communs importants qui ne tiennent pas du hasard.
Cette similarité est d'autant plus frappante qu'elle est en fait une réponse naturelle basée sur des faits et des cas d'espèces, dans un contexte politique similaire d'un côté comme de l'autre de l'Atlantique, c'est-à-dire une voie référendaire bloquée. Qu'elle le soit par un gouvernement espagnol qui utilise ses pouvoirs, ou par un gouvernement fédéral utilisant les siens, sinon l'attentisme des «conditions gagnantes» ou du «bon moment», c'est du pareil au même, au final.
Mais à la lumière de ces évidences émanant d'outre-Atlantique, la question ultime qui nous vient à l'esprit est la suivante: le Parti québécois saura-t-il sortir d'un carcan qu'il s'est lui-même imposé? La question est vitale, car elle fait cette différence entre une Catalogne où des indépendantistes voteront pour des partis indépendantistes, et le Québec qui voit une saignée mortelle de son électorat s'apprêtant à voter pour des formations fédéralistes avouées.
Le nouveau chef du Parti québécois, n'étant pas du sérail traditionnel, devra trancher cette question entre la tradition attentiste et le mouvement électoral. Sa réponse fera sans doute la différence entre «réussir» ou LA débâcle, pire encore que celles des dernières années.

Québec
L'histoire du Québec a été marquée par différents mouvements nationalistes. La création de partis souverainistes dans les années 60, dont celle du Parti québécois en 1968, a remis la question de l'indépendance sur le devant de la scène politique. Question qui a été soumise à la population à deux reprises lors des référendums de 1980 et 1995.