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jeudi, juin 04, 2015

L’héritage de Jacques Parizeau

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L’héritage de Jacques Parizeau
AGENCE QMIJacques Parizeau

Mathieu Bock-Coté
De toutes les familles politiques, depuis 48 heures, on entend monter un concert de louanges pour Jacques Parizeau. Comme si sa mort nous plaçait devant une évidence lourde: l’homme était un personnage historique absolument singulier. Il aura marqué en profondeur le Québec.
Et il l’aura marqué pour le mieux. Philippe Couillard a été à la hauteur de sa fonction en accordant à Monsieur Parizeau des funérailles d’État.
Quel est l’héritage de Jacques Parizeau? Il est vaste. On pense évidemment aux grandes institutions économiques du Québec moderne. Jacques Parizeau croyait en l’État. Il aimait la grande histoire de la Révolution tranquille, dont il fut non seulement un artisan, mais un héros. Il y voyait la preuve que le peuple québécois, longtemps condamné à la survivance et voué à la disparition, était capable de grandes choses.
Croire en la politique
Pourtant, l’essentiel me semble ailleurs. Jacques Parizeau croyait surtout que l’homme peut faire l’histoire plutôt que la subir.
Il croyait que la volonté politique peut changer le cours des choses, renverser des tendances lourdes, réveiller les peuples, leur permettre de progresser.
C’est une idée originale pour notre temps.
Aujourd’hui, les politiciens se contentent de s’adapter aux circonstances.
Mais pour cela, il faut avoir les idées claires et ne pas naviguer à vue. Il faut avoir un idéal, en fait. Et Jacques Parizeau en avait un: l’indépendance du Québec.
Il était en croisade pour elle. Il ne croyait pas que les Québécois s’y convertiraient grâce aux œuvres du Saint-Esprit. Il fallait forcer le destin et délivrer les Québécois de leur ambivalence, les forcer à choisir. L’histoire avance à coup de décisions.
En 1995, Jacques Parizeau était prêt. Il savait bien qu’un Oui ne suffirait pas et qu’il faudrait assurer la transition vers l’indépendance, d’autant que le Canada anglais ne nous ferait pas de cadeau.
Il avait pensé à tout. À la reconnaissance internationale. Aux ressources nécessaires pour affronter une éventuelle turbulence économique. Il avait une vision large et profonde de l’intérêt national.
Une profonde tristesse
Et pourtant, son décès sème une tristesse bien singulière, un peu semblable à celle qui avait suivi la mort de René Lévesque. Qui, aujourd’hui, ne ressent pas intimement la part inachevée dans le destin québécois? Que notre histoire a dévié en 95 et que, depuis, nous dérivons?
La mort de Jacques Parizeau nous oblige à nous poser une question cruelle: le 30 octobre 1995 ne représente-t-il pas l’occasion ratée la plus tragique de notre histoire?
La mort de Monsieur Parizeau remuera-t-elle dans les profondeurs de la culture québécoise la honte de l’inachèvement, le sentiment d’être passé à côté de quelque chose d’important ou, inversement, le sentiment que nous sommes vraiment passés dans un Nouveau Monde et que le décès de cet homme admirable marque la rupture finale avec la grande époque du nationalisme québécois?
Dans 20 ans, nous dirons-nous que sa mort aura secoué un Québec avachi et endormi ou qu’elle aura tourné la dernière page dans l’histoire de la lutte indépendantiste?
Évidemment, nous n’en savons rien pour l’instant. Mais la réaction très profonde à cette mort me laisse croire qu’elle forcera les Québécois à réfléchir comme ils ne l’ont pas fait depuis longtemps à leur destin.