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mardi, juin 09, 2015

Indépendance : est-il trop tard?

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Mathieu Bock-Coté
La mort de Jacques Parizeau a remué bien des souvenirs et des aspirations déçues chez les Québécois. En regardant des archives vidéo, en écoutant des discours venus d’une autre époque, en constatant à quel point ils avaient il y a vingt ans une formidable énergie politique, nous n’avons pas d’autre choix que de constater à quel point ils sont aujourd’hui démobilisés et apathiques.
Singulier hasard : alors que nous célébrons aujourd’hui les funérailles de Monsieur, un livre fondamental sort en librairie et analyse l’épuisement des indépendantistes. La souveraineté en héritage (Boréal, 2015) est le dernier ouvrage du sociologue Jacques Beauchemin. Souverainiste convaincu, Beauchemin se pose une question cruelle : avons-nous échoué? Les souverainistes auraient beau intensifier leur pédagogie politique, se pourrait-il qu’au fond d’eux-mêmes, les Québécois ne soient plus intéressés par la question nationale et deviennent indifférents à leur parcours historique? Cela expliquerait pourquoi les souverainistes ont souvent l’impression de parler dans le vide. Les Québécois sont fatigués.
Psychologie collective
Pour comprendre notre malaise actuel, Beauchemin fouille dans les profondeurs de l’identité québécoise et confronte les paradoxes qui la traversent. Son livre propose une psychologie et une sociologie de notre inconscient collectif. Il remarque que les Québécois ont une certaine « incapacité à s’affirmer ». Ils hésitent plutôt entre la célébration emphatique du génie québécois, qui devrait inspirer tous les peuples, ou l’autodépréciation morbide qui pousse les plus sévères à souhaiter un jour notre assimilation, comme si notre identité n’était qu’un fardeau.
Par exemple, le Québec se croit appelé à faire la morale à la planète en matière d’écologisme ou d’ouverture à la diversité. Nous sommes un soleil de tolérance qui brille pour l’humanité. Nous ne sommes peut-être pas souverains, mais nous sommes les plus modernes! Mais au même moment, on en entendra d’autres expliquer que nous sommes nuls économiquement, que notre culture est un enclos asphyxiant qui nous coupe de l’Amérique. Nous n’avons pas une identité apaisée. Du fond de nous-mêmes remonte de temps en temps la tentation de la mort.
Une majorité diabolisée
Beauchemin désigne un autre problème : il est de plus en plus difficile de défendre les aspirations d’un peuple dans une époque qui diabolise la majorité et célèbre les minorités. Dès qu’un peuple affirme son identité, on l’accuse d’exclure les minorités qui disent ne pas y appartenir. Cela fait en sorte que bien des souverainistes abandonnent peu à peu les références à l’identité québécoise, comme si cette dernière était malpropre et corrompait l’idéal démocratique. Comment réconcilier notre identité historique, que nous ne pouvons renier, et la diversité contemporaine?
Faut-il pour autant désespérer? Non. Beauchemin croit que notre vieux désir de devenir une nation existant en son propre nom n’est pas mort. Il parie qu’au fond de nous-mêmes, il brûle encore. Encore doit-on l’assumer avant qu’il ne soit trop tard. Qui sait? Comprenant enfin l’urgence, peut-être renaîtrons-nous? Il croit que les souverainistes ne peuvent plus tergiverser et multiplier les contorsions stratégiques. Ils doivent foncer et placer les Québécois devant leur destin.
Nous délivrerons-nous de la peur malade d’exister? Chose certaine, ce livre conjugue une lucidité terrifiante et une espérance sincère. On le recommandera à ceux qui ne veulent ni fermer les yeux ni baisser les bras.