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vendredi, mai 08, 2015

Libéré, Omar Khadr veut montrer qu'il est digne de confiance

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Publié par La Presse Canadienne le jeudi 07 mai 2015 à 21h40. Modifié par 98,5 Sports à 23h55.
Libéré, Omar Khadr veut montrer qu'il est digne de confiance
EDMONTON - Omar Khadr dit vouloir un nouveau départ après avoir passé plus de dix ans en prison. Il a soutenu qu'il démontrerait aux Canadiens - et au premier ministre Stephen Harper - qu'il est digne de leur confiance.

L'ancien détenu canadien de la prison de Guantanamo s'est exprimé publiquement, jeudi soir, après avoir été libéré sous caution. Omar Khadr a remercié les Canadiens de lui avoir donné une chance.
«Je leur démontrerai que je suis davantage que l'impression qu'ils ont eu de moi, je leur démontrerai que je suis une bonne personne», a-t-il exprimé aux médias devant la maison de son avocat à Edmonton.

«Donnez-moi une chance, voyez qui je suis en tant que personne, au-delà de mon nom, et vous pourrez faire votre propre jugement.»

Pour ce qui est de M. Harper, dont le gouvernement l'a constamment présenté comme un terroriste impénitent, il a eu ces mots: «Je devrai le décevoir, je suis une meilleure personne que ce qu'il croit».

Après 13 ans passés derrière les barreaux à Guantanamo Bay et au Canada, Omar Khadr a été libéré sous caution, jeudi, en attendant l'audition aux États-Unis de l'appel de sa condamnation pour crimes de guerre.

La juge Myra Bielby, de la Cour d'appel de l'Alberta, n'aura donc pas été convaincue par les arguments d'Ottawa, qui plaidait mardi que la libération de M. Khadr constituerait une menace à la sécurité publique et nuirait aux bonnes relations du Canada avec les autres pays.

Une juge albertaine de première instance avait déjà ordonné, il y a près de deux semaines, la libération sous caution du Torontois, aujourd'hui âgé de 28 ans. La juge June Ross, de la Cour du banc de la reine de l'Alberta, estimait qu'il ne serait pas dans l'intérêt public de garder le détenu derrière les barreaux. Selon elle, Omar Khadr dispose d'un bon dossier pour son appel aux États-Unis, et le risque pour la sécurité publique n'est pas suffisamment élevé pour justifier sa détention avant le procès. Le gouvernement canadien avait aussitôt contesté cette décision en Cour d'appel.

«M. Khadr, vous êtes libre», a conclu la juge Bielby, jeudi matin à Edmonton. L'avocat de M. Khadr, Dennis Edney, a serré dans ses bras sa femme Patricia, qui pleurait à chaudes larmes, pendant que des partisans dans la salle d'audience saluaient bruyamment la décision de la juge.

À sa sortie du tribunal, Me Edney a qualifié le premier ministre Stephen Harper de «fanatique», qui s'est acharné sur son client parce qu'il n'aime pas les musulmans, selon lui. Le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, de passage à Montréal jeudi, s'est porté à la défense de son chef.

«J'estime que l'on doit démontrer du respect même si on ne partage pas le même point de vue», a-t-il dit. «Le respect, c'est une valeur canadienne. Évidemment, j'ai beaucoup de respect pour le premier ministre Harper qui, au cours des 10 dernières années, a démontré beaucoup de courage pour remettre les victimes au coeur de notre système judiciaire.»

La porte-parole adjointe de l'opposition néo-démocrate en matière de sécurité publique, Rosane Doré Lefebvre, a soutenu que «les conservateurs doivent arrêter de se servir de ce cas pour marquer des points politiques, et respecter la décision d'aujourd'hui».

De strictes conditions

La Cour d'appel permet donc à M. Khadr de recouvrer sa liberté sous certaines conditions — notamment de porter un émetteur à la cheville («bracelet électronique»), afin de pouvoir suivre ses allées et venues par géolocalisation. Il devra aussi habiter chez son avocat, à Edmonton, respecter un couvre-feu, et ne pourra quitter la province sans le consentement des autorités.

De plus, il ne pourra communiquer avec ses proches que par téléphone ou vidéo, sous la supervision de son avocat, et en anglais seulement, mais il pourra tout de même les voir en personne, avec l'accord de son agent de libération conditionnelle. Enfin, son accès à Internet sera aussi restreint et supervisé. Il a dû par ailleurs verser une caution de 5000 $ avant d'être libéré.

Moins de deux heures après la décision de la juge Bielby, Me Edney, qui a suivi jeudi un cours intensif sur le «bracelet électronique», quittait le palais de justice avec son célèbre client.

Des documents judiciaires révèlent que M. Khadr a déclaré récemment à un psychologue qu'il ne voulait plus participer à «ce terrorisme insensé», et qu'il s'accroche à l'espoir de ne pas être celui qui a lancé la grenade contre le sergent Speer en Afghanistan. «J'ai commis une erreur monumentale par le passé, et je crains d'en être toujours hanté», disait-il au psychologue.

Le gouvernement «déçu»

Il s'agit donc de la première sortie de prison du Torontois en près de 13 ans de captivité — depuis son arrestation par des soldats américains en Afghanistan lors d'une opération militaire en juillet 2002, alors qu'il avait 15 ans. Le père du jeune Omar, tué lors de cette opération, était un ami d'Oussama ben Laden, et sa mère a déjà exprimé publiquement son soutien à Al-Qaïda.

Jugé par une commission militaire américaine pour crimes de guerre — notamment le meurtre d'un soldat —, il avait plaidé coupable à cinq chefs en 2010. En échange de ce plaidoyer, il a été condamné à une peine de huit autres années de prison.

À cette époque, il était le plus jeune détenu — et le seul Occidental — emprisonné à la base navale américaine de Guantanamo, sur l'île de Cuba. Et il demeure à ce jour la seule personne à avoir été condamnée pour le meurtre d'un soldat américain en zone de conflit en Afghanistan.

Rapatrié dans un pénitencier canadien en 2012, il soutient depuis qu'il n'a plaidé coupable aux États-Unis que pour quitter la prison de Guantanamo.

Le gouvernement Harper s'est aussitôt dit déçu par la décision de la Cour d'appel. «Nous regrettons qu'un terroriste reconnu coupable puisse réintégrer la société canadienne sans avoir purgé toute sa peine», a indiqué dans un communiqué Étienne Rainville, attaché de presse adjoint du ministre Steven Blaney. «Omar Khadr a plaidé coupable à des accusations de crimes odieux, dont le meurtre du sergent Christopher Speer, infirmier de l'armée américaine. Nos pensées et nos prières accompagnent la famille du sergent Christopher Speer dans ces moments difficiles.»

Au-delà de ces considérations morales, les procureurs fédéraux soutenaient notamment que la libération sous caution de M. Khadr violerait le traité international en vertu duquel il avait été transféré dans un pénitencier canadien — ce qui mettrait en péril le sort d'autres Canadiens emprisonnés dans le monde et qui souhaiteraient aussi purger leur peine au pays.

Mais un des avocats de M. Khadr, Nate Whitling, avait plaidé mardi dernier que le cas de son client ne pourrait pas faire jurisprudence, car il est unique: personne n'avait réalisé, avant son retour au Canada, que le condamné avait renoncé par écrit, devant la commission militaire américaine, à en appeler du verdict. Cette procédure a été depuis invalidée, ce qui permet maintenant à M. Khadr de faire appel du verdict aux États-Unis.

Pendant toute son incarcération, le gouvernement canadien a toujours refusé les demandes des journalistes pour s'entretenir avec lui. «J'ai hâte qu'Omar Khadr se présente tel qu'il est aux Canadiens, qu'il s'inscrive en faux contre les mensonges de ce gouvernement qui a refusé de vous laisser le voir ou lui parler», a dit son avocat aux journalistes, jeudi.

Les procédures en justice d'Omar Khadr ne s'arrêtent pas là.

Sa poursuite au civil de 20 millions $, qui allègue que le gouvernement canadien a comploté avec les États-Unis pour le torturer et violer ses droits, est encore en cours, tandis que la contestation par Ottawa de son statut de mineur doit être entendue en Cour suprême du Canada la semaine prochaine.