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jeudi, avril 02, 2015

Le délateur Beaudry éclabousse Denis Gallant

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2 avril 2015 |Brian Myles | Justice
Me Denis Gallant est aujourd’hui l’inspecteur général de la Ville de Montréal.
Photo: Jacques Nadeau
 Le Devoir
Me Denis Gallant est aujourd’hui l’inspecteur général de la Ville de Montréal.
Le délateur Sylvain Beaudry s’apprête à livrer un témoignage-choc en Cour d’appel. Selon lui, un juriste chevronné, Denis Gallant, aurait influencé son témoignage dans le procès pour meurtre de Tony Duguay en lui remettant toute la preuve contre l’accusé.
 
Beaudry affirme qu’il a menti lors du procès de Duguay, en 2006, et que son témoignage a été « corrompu » par sa connaissance intime de la preuve. Le principal intéressé, Denis Gallant, nie fortement ces allégations.
 
Beaudry prétend que Denis Gallant lui a donné « la divulgation entière de la preuve » dans une déclaration assermentée de type « KGB » (avec une mise en garde et lecture des droits) datée du 31 janvier 2014.
 
En 2006, Me Gallant était le procureur responsable de la cause de Duguay. « Ça m’a réellement été remis par Me Gallant avant de témoigner, dit Beaudry. […] Le CD m’a été remis à même l’ordinateur, et j’ai gardé l’original depuis le temps. »
 
Le Devoir a mis la main sur la transcription de cette déclaration enregistrée sur vidéo. L’avocate de Tony Duguay, Anne-Marie Lanctôt, a présenté une requête exceptionnelle pour faire admettre en Cour d’appel cette preuve nouvelle que constituent les aveux tardifs de Sylvain Beaudry.
 
La déclaration assermentée fait état d’allégations non prouvées en Cour. Si les faits sont avérés, il s’agirait d’une atteinte à l’équité du procès de Duguay, un membre des Bandidos qui croupit en prison depuis huit ans pour le meurtre d’un membre des Hells Angels Nomads, Normand Hamel.
 
Beaudry sera entendu jeudi par la Cour d’appel. Ce revirement à 360 degrés n’est pas banal.
 
Beaudry a témoigné contre Duguay en 2006 ; voilà qu’il témoigne en sa faveur.
 
Gallant consterné
 
Denis Gallant, qui est aujourd’hui Inspecteur général de Montréal, s’explique mal cette double délation de Beaudry, un témoin qu’il jugeait « très crédible » à l’époque.
 
En 2006, Denis Gallant était procureur au sein du Bureau de lutte contre le crime organisé (BLACO). Il a piloté avec succès le procès de Duguay et ceux d’autres membres des Bandidos arrêtés dans le cadre de l’opération Amigos.
 
« Pour un salaire de 75 000 $ par année, je ne pense pas que j’aurais magouillé là-dedans », s’exclame Me Gallant, qui nie catégoriquement les allégations, non prouvées en Cour, de Beaudry. « Faites attention. Attendez donc qu’il témoigne et qu’il soit contre-interrogé », a-t-il suggéré.
 
Si la Cour d’appel en vient à prêter foi à la nouvelle version de Beaudry, Me Gallant exigera de faire valoir son point de vue à son tour, pour laver son honneur et sa réputation.
 
Selon Me Gallant, Sylvain Beaudry « mélange des affaires ». Avant de retourner sa veste et de devenir délateur, en avril 2003, il avait déjà été condamné à deux peines globales de 15 ans de pénitencier, en 2001 et 2002, pour son implication dans les Bandidos. À titre d’accusé, il avait eu droit à la divulgation de toute la preuve accumulée contre lui et ses coaccusés. Il fait peut-être référence à ce CD, suggère Me Gallant. « Si je lui ai donné un CD, c’est de la preuve déjà divulguée », dit-il.
 
Denis Gallant nie cependant avoir donné à Beaudry toute la preuve contre Tony Duguay. « Je te jure sur mon serment d’office. Ça ne tient pas », dit-il.
 
Pour la préparation du procès de Tony Duguay, Sylvain Beaudry a bel et bien eu droit à un ordinateur et à un CD contenant ses propres déclarations, afin qu’il puisse préparer son témoignage à la Cour. « Je suis très confortable avec ça », affirme Me Gallant.
 
Une vengeance ?
 
Un enquêteur qui préfère conserver l’anonymat confirme qu’un délateur a normalement le droit de consulter « ses déclarations pour se rafraîchir la mémoire, point ». S’il s’avère que Beaudry a pu accéder à toute la preuve pour « apprendre la cause », il s’agirait là « d’une erreur capitale » pour l’équité du procès, croit cet enquêteur.
 
Beaudry ne semble pas entretenir de confusion dans sa déclaration. Il dit être en possession de « la preuve intégrale » ou encore de « la preuve en entier » de la Couronne dans la cause de Duguay, y compris les photos d’autopsie de la victime.
 
Sylvain Beaudry est un homme en colère depuis l’arrestation de son contrôleur, Benoit Roberge, ce policier condamné à huit ans de pénitencier pour avoir vendu des informations aux Hells Angels.
 
Il a été exclu du programme de protection des témoins pour rupture de contrat, et sa libération conditionnelle a été révoquée, en dépit de rapports favorables de son agent de probation. Beaudry, qui se dit victime de représailles, a retenu les services de Jacques Normandeau dans l’espoir d’obtenir sa libération d’office.
 
Recruté sous contrainte par Roberge, Beaudry cherche à obtenir réparation depuis quelques mois. « Je pense qu’il veut se venger parce qu’il n’a pas eu son million, avance Denis Gallant.Beaudry n’est pas content de son contrat. Il s’est lui-même mis à risque et ce qu’il dit n’est pas vrai. »
 
Quoi qu’il en soit, Denis Gallant est persuadé de la culpabilité de Tony Duguay pour le meurtre de Normand Hamel, commis en 2000. La cause reposait sur une preuve d’identification de deux témoins civils qui étaient présents sur les lieux du meurtre. Beaudry n’était pas impliqué dans la préparation ou l’exécution de ce meurtre. Il a recueilli les aveux de Tony Duguay après le crime. Dans sa déclaration KGB, il maintient toujours sa version initiale : Duguay lui a avoué le meurtre.
 
Il y a un an, Denis Gallant a livré deux déclarations à la police au sujet des allégations de Sylvain Beaudry. Il a informé le maire Denis Coderre et son chef de cabinet, Denis Dolbec, des allégations du délateur lorsque son nom a circulé comme candidat potentiel au poste d’inspecteur général.
 
Le porte-parole du maire, Louis-Pascal Cyr, a réitéré la pleine confiance de l’administration Coderre à l’endroit de l’inspecteur général. « Il nous avait fait part de cette histoire. On avait posé des questions et il nous avait donné des explications que nous avions jugées satisfaisantes. Il a toute notre confiance », a-t-il dit.