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vendredi, mars 27, 2015

COUR SUPRÊME Ottawa pourra détruire les données du registre des armes à feu

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Québec créera son propre registre d'armes

27 mars 2015 12h08 | Hélène Buzzetti - Correspondante parlementaire à Ottawa | Canada
Le registre des armes à feu que Québec voulait constituer devra donc être bâti à partir de rien.
Photo: Jacques Nadeau
Archives Le Devoir
Le registre des armes à feu que Québec voulait constituer devra donc être bâti à partir de rien.
Alors que le gouvernement du Québec place ses finances publiques sous le signe de l'austérité, la Cour suprême du Canada l'oblige à prendre une décision qui pourrait avoir une conséquence financière significative. Dans un jugement très divisé, où les trois juges québécois font bande à part, le plus haut tribunal du pays a tranché qu'Ottawa avait tout à fait le droit de détruire les données contenues dans son registre des armes à feu. Le registre que Québec voulait constituer devra donc être bâti à partir de rien.

Dans leur jugement d'à peine 29 pages, les cinq juges de la majorité écrivent que la destruction des données «est un exercice licite de la compétence législative en matière de droit criminel».

«Pour certains, écrivent pour la majorité Thomas Cromwell et Andromache Karakatsanis, la décision du Parlement de détruire ces données affaiblira la sécurité publique et entraînera le gaspillage de sommes considérables de fonds publics. D'autres verront le démantèlement d'un régime mal avisé et le rétablissement trop tardif du droit à la vie privée des propriétaires d'armes à feu qui respectent les lois. Or, ces opinions divergentes sur le bien-fondé du choix de politique générale du Parlement ne sont pas en litige dans la présente affaire. Comme on l'a dit à maintes reprises, les tribunaux ne doivent pas s'interroger sur la sagesse d'une loi: ils doivent uniquement se prononcer sur sa légalité.»

Le gouvernement conservateur a officiellement mis la hache dans le registre des armes à feu en 2012, une fois sa majorité obtenue. Et comme elle avait promis en campagne électorale qu'elle mettrait un terme à ce registre honni «une bonne fois pour toutes», l'équipe conservatrice a aussi rendu obligatoire la destruction de toutes les données, incluant les copies que les provinces avaient en leur possession. C'est à cette destruction que Québec s'est opposé. En vain.

Les juges de la majorité écrivent que «la thèse du Québec signifierait par extrapolation que l'adoption de la Loi sur les armes à feu a eu un effet contraignant – le maintien des données du RCAF – que le Parlement n'est pas à même de défaire seul.»

La minorité ne pouvait pas être plus en désaccord. Elle signe un jugement dissident de 72 pages. Fait remarquable, elle est signée par les trois juges québécois de la Cour – Richard Wagner, Louis LeBel, Clément Gascon –, trio auquel se joint Rosalie Abella.

«D'après nous, le démantèlement d'un partenariat tel le contrôle des armes à feu doit se faire dans le respect du principe du fédéralisme qui sous-tend notre Constitution. Ainsi, le Parlement ou une législature provinciale ne peut légiférer pour mettre fin à un tel partenariat sans tenir compte des conséquences raisonnablement prévisibles de cette décision pour l'autre partenaire.»

Les juges dissidents s'amusent même à prouver que ce registre découlait d'un partenariat fédéral-provincial en citant le discours à la Chambre des communes livré en 1995 par un député, un certain… Stephen Harper. «Certes, avait dit M. Harper à l'époque, c'est le ministère de la Justice qui assume la responsabilité globale du contrôle des armes à feu, mais l'administration du programme est surtout l'affaire des gouvernements provinciaux et territoriaux».

Un registre québécois à quel prix?

Dans les faits, beaucoup des données de ce registre étaient probablement périmées. En effet, dès leur entrée au pouvoir en 2006, les conservateurs ont accordé des amnisties successives aux propriétaires d'armes qui n'enregistraient pas leurs armes d'épaule, leur évitant les sanctions criminelles prévues par la loi pour leur omission administrative. Cela fait donc neuf ans que les données sur les armes d'épaule en circulation ne sont pas systématiquement mises à jour (certains propriétaires peuvent avoir continué à enregistrer leurs armes).

Il y a un peu moins de 2 millions de titulaires de permis d'armes à feu au Canada, dont 500 000 au Québec. Ces permis sont toujours nécessaires pour obtenir ou manier une arme à feu et les registres provinciaux où ils sont consignés ne sont pas remis en cause par l'actuel litige. Approximativement 7,4 millions d'armes sont en circulation au pays, dont 21 % au Québec. Les armes à utilisation restreinte (armes de poing) ou prohibées (armes automatiques) doivent encore être enregistrées. Les armes d'épaule représentent cependant la très grande majorité de toutes les armes en circulation au Canada (environ 90 %).

La mise en place du registre des armes à feu avait eu lieu sous le gouvernement libéral de Jean Chrétien, en 1998. À l'époque, le ministre Allan Rock assurait que la chose ne coûterait que 2 millions de dollars au gouvernement fédéral à mettre sur pied. Des années plus tard, le vérificateur général en était arrivé à la conclusion que l'opération avait plutôt coûté un milliard de dollars aux contribuables. La question est de savoir si le gouvernement de Philippe Couillard veut à son tour se lancer dans cette aventure. Au cours des derniers mois, M. Couillard a indiqué qu'il irait de l'avant avec sa promesse d'instaurer un registre québécois, quelle que soit la décision de la Cour suprême, mais à la hauteur «des moyens»du Québec, sans expliquer ce qu'il voulait dire par là.
Québec créera son propre registre d'armes
Le gouvernement Couillard est «extrêmement déçu» de la décision rendue vendredi par la Cour suprême, qui autorise le fédéral à détruire les données du registre des armes d'épaule.

Mais le Québec maintient le cap: il créera son propre registre d'armes d'épaule, «par étapes et dans le respect de la capacité de payer des Québécois», a confirmé la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, vendredi.

«Il est évident que nous sommes extrêmement déçus de cette décision», a déclaré Mme Thériault en conférence de presse, à Québec, après avoir pris connaissance de la décision du plus haut tribunal du pays.

«Le message des Québécois n'a pas été entendu», a-t-elle ajouté en évoquant le vaste consensus obtenu au Québec sur cette question ainsi que l'unanimité de l'Assemblée nationale.

Sous l'angle de critères tels que la gestion des fonds publics et le fédéralisme coopératif, cette décision n'est carrément «pas acceptable», a ajouté la ministre, qui n'a toutefois par l'intention de tenter un ultime appel au gouvernement conservateur. «On s'est battu, on a perdu, parfait, on se lève les manches et on continue», a-t-elle dit.

Selon elle, les Québécois pourront poser un jugement sur le gouvernement conservateur aux prochaines élections fédérales cet automne.

Québec entend maintenant déposer un projet de loi en cette session parlementaire pour recommencer à zéro et mettre sur pied son propre registre des armes d'épaule. Car il s'agit d'une «base données essentielle», qui est consultée 900 fois par jour par les services de police du Québec, a plaidé Mme Thériault.

C'est une question de mois avant que le projet de loi soit adopté, a-t-elle estimé, mais pour la suite, la mise sur pied du régime et son entrée en vigueur, cela reste flou, puisqu'il faut notamment refaire la collecte des données.

Quant au coût, Mme Thériault évoque des estimations préliminaires de 30 millions $, tout dépendant du calendrier de mise en œuvre, mais les évaluations réelles seront connues en commission parlementaire, a-t-elle dit. L'évaluation de 30 millions $ semble bien modeste, considérant que le gouvernement libéral fédéral de Jean Chrétien avait fait scandale à la fin des années 1990 en mettant sur pied le registre au coût de 1 milliard $.
Patrice BergeronLa Presse canadienne